Interview du président du conseil d’administration
Marc-Antoine Jamet
"Peu à peu, on découvre ou redécouvre l’instrument souple, évolutif, adaptable, qu’est le Cned. Alors même que les façons d’enseigner, les attentes des familles, les besoins des élèves évoluent, notre établissement s’est révélé capable, mieux que d’autres, d’accompagner les transformations de l’école."
En 2023, le Cned a été reconnu établissement de complémentarité par le décret du 12 avril. Qu’implique l’élargissement de ses missions ?
Peu à peu, on découvre ou redécouvre l’instrument souple, évolutif, adaptable, qu’est le Cned. Alors même que les façons d’enseigner, les attentes des familles, les besoins des élèves évoluent, notre établissement s’est révélé capable, mieux que d’autres, d’accompagner les transformations de l’école. Ses caractéristiques anciennes, en premier lieu la maîtrise du distanciel, sont redevenues des atouts. Les formes modernes de la pédagogie et, notamment, sa dimension numérique paraissent avoir été inventées pour lui. La personnalisation des apprentissages, la modularité du travail par classe divisée en groupes ou par classes rassemblées, les expériences éducatives ne le déroutent pas. Au contraire ! C’est pourquoi le décret du 12 avril, en marquant la reconnaissance par ses ministères de tutelle de l’utilité du Cned pour tous les élèves, les siens et les autres, constitue une étape décisive de ce processus de revitalisation. C’est une reconnaissance individuelle du travail de chacun d’entre nous. C’est une satisfaction collective de nos efforts et de notre énergie. C’est une aubaine, j’allais dire une bénédiction, pour les établissements scolaires en présentiel qui peuvent, grâce à nous, élargir et enrichir leur offre pédagogique. Ces dimensions nouvelles ne nous font pas oublier pour autant l’objectif premier assigné à notre service public : apporter des réponses d’excellence à toute situation d’empêchement et assurer une continuité pédagogique au bénéfice des élèves. La Cour des comptes – j’en suis magistrat – soulignait, dès son rapport public 2022, voyant comment le Cned avait étendu son offre d’enseignement pendant la crise sanitaire, notre capacité à opérer ce changement d’échelle. S’il faut souhaiter que l’épidémie de Covid soit derrière nous, la digitalisation des méthodes d’apprentissage s’est durablement inscrite dans notre quotidien. Elle ne vise pas à se substituer au monde physique, mais plutôt à favoriser une synergie entre enseignement traditionnel, le présentiel, et nouvelles méthodes d’apprentissage, le distanciel. Dans la recherche de cet équilibre subtil, c’est au Cned de jouer un rôle essentiel au service du système éducatif. C’est sa mission. Il doit permettre d’aider les établissements à appréhender de nouveaux usages et à adopter un modèle pédagogique innovant qui permettra aux élèves de réussir. En proposant des enseignements complémentaires aux établissements en présentiel, nous ouvrons de nouvelles perspectives, nous donnons de nouveaux moyens aux élèves et à leurs professeurs. Je songe, par exemple, à la possibilité soit d’apprendre de nouvelles langues étrangères, soit d’entretenir la maîtrise d’une langue régionale ou d’un pays d’origine, contribuant ainsi à la préservation d’un héritage personnel et à la conservation d’un patrimoine universel. J’en suis certain : en mixant le numérique distanciel et les pratiques pédagogiques, le Cned permet aux établissements en présentiel de dépasser les contraintes de leur environnement physique, d’optimiser leurs capacités et d’amplifier le potentiel de leurs élèves.
Vous êtes président du conseil d’administration du Cned depuis dix ans. Quel regard portez-vous sur le nouveau COP et l’évolution de l’établissement ces dix dernières années ?
Ce n’est pas simplement depuis dix ans que le Cned se transforme. Depuis sa création, il y a près de 85 ans (même si je n’y étais pas en dépit de mon grand âge), le Cned est parvenu à refléter les évolutions du monde. En 1939, le Cned a été créé pour assurer la scolarisation des élèves dans une France qui entrait en guerre. Ces dix dernières années, heureusement, même si on entend trop de bruits de bottes, ne nous ont pas confrontés à de tels défis, mais elles ont été marquées par une mutation rapide de nos façons d’interagir, de nous divertir, d’accéder aux savoirs et de les transmettre, à la médecine, à la science et aux datas, d’enseigner, d’apprendre et de travailler. Grâce à sa flexibilité, son accompagnement à distance, la qualité de ses enseignants et de ses enseignements, ainsi que son esprit d’innovation, sans oublier sa capacité sans équivalent à digitaliser ses contenus pédagogiques, le Cned a joué un rôle essentiel dans cette transition. En seulement 10 ans, il est passé d’un modèle centré sur l’offre à une approche axée sur les services, d’un établissement qui agissait en parallèle, de façon presque isolée, à un établissement complémentaire intégré dans une chaîne de valeurs et de cohérences, d’un opérateur du service public destiné aux publics empêchés à un organisme animé d’une mission d’intérêt général au service de tous. Les différents COP adoptés ont permis d’accompagner ces évolutions. Le dernier, 2019-2022, a repositionné le Cned dans le paysage éducatif français en en faisant une « Académie numérique » au service des politiques publiques et des établissements en présentiel. Appuyé sur ces acquis, le nouveau COP 2023-2026 veut développer ce mouvement et renforcer son offre scolaire à destination des publics empêchés et des établissements en présentiel. C’est pourquoi, il s’est engagé à enrichir son catalogue de formations professionnelles, en particulier pour les métiers d’avenir, à innover pour créer des parcours adaptatifs et à améliorer la qualité de l’accompagnement des apprenants. Nous sommes donc aujourd’hui parfaitement préparés pour exceller dans le service public de l’éducation et de la formation à distance, en répondant pleinement à notre mission première : accompagner toutes les réussites. On ne peut que s’en féliciter !
2023 a été l’année de l’intelligence artificielle. Quels en sont les impacts pour l’éducation et la formation ?
Entre fascination et rejet, il y a une voie moyenne. L’intelligence artificielle nous ouvre les portes d’un monde nouveau dont il nous reste encore beaucoup à apprendre. Il ne s’agit plus de savoir si nous allons l’adopter : cela est inévitable. Il s’agit de s’interroger sur la manière dont nous nous l’approprions et quelles sont les limites que nous lui imposons. Elle doit nous servir et non nous asservir. Pour autant, rien ne sert de fermer les yeux. Comme Internet l’a fait dans les années 1990 et 2000, l’IA modifie en profondeur et inévitablement, notre rapport à la société et à l’ensemble de ses univers : l’économie, la mobilité, la santé, les avancées scientifiques, les modes de production, la relation au travail, à l’information, aux autres, à la culture, et bien sûr, à l’éducation et à la connaissance. Abordons-la comme une méthode. Elle doit d’abord être un outil utile pour personnaliser l’apprentissage et optimiser l’acquisition des savoirs. En analysant les réponses et en tenant compte des progrès individuels, elle permet d’adapter les parcours. En fournissant un soutien continu aux apprenants, en répondant à leurs questions, elle offre un tutorat intelligent et personnalisé. Ce sont autant d’aspects que le Lab’innovation du Cned explore pour proposer une éducation et une formation plus adaptées, personnalisées et spécifiques à chaque apprenant. Dès lors, l’IA peut être un véritable levier pour améliorer la qualité de l’enseignement. En analysant les données, elle peut identifier les besoins d’apprentissage de chacun, enrichir des contenus pédagogiques pour les rendre plus interactifs et plus attractifs, renforcer l’engagement des élèves dans leur apprentissage. En automatisant certaines tâches administratives, elle permet aussi, elle permet surtout aux enseignants de libérer du temps, d’évacuer la routine et d’éviter la fatigue, pour se consacrer à l’interaction en classe et à l’accompagnement personnalisé de leurs élèves. Il n’en demeure pas moins que la généralisation de l’IA dans nos usages soulève de nombreuses questions : comment maintenir l’équilibre entre utilisation de l’IA et maintien du rôle central de l’enseignant et de l’interaction humaine dans l’enseignement ? Comment superviser son utilisation alors que les élèves en sont déjà familiers ? Comment garantir un accès équitable à ses fonctions en tenant compte des disparités géographiques et sociales ? Comment vérifier la fiabilité des informations et la véracité des contenus alors que cette exactitude est de plus en plus difficile à évaluer ? Comment minimiser les biais et les préjugés potentiels dans les algorithmes d'IA utilisés dans l'éducation ? Comment former et préparer les enseignants à travailler efficacement avec les technologies d'IA dans leurs pratiques pédagogiques ? En tant qu’opérateur public de l’enseignement à distance et par sa mission d’intérêt général, le Cned s’engage à prendre la mesure de ces enjeux, à les maîtriser, à les utiliser en promouvant le développement d’une IA souveraine, fiable, éthique, responsable, bénéfique pour l’ensemble des utilisateurs, en maintenant l’homme, l’élève et son maître, au milieu de son système d’éducation et d’enseignement. C’est le chemin que, ensemble, nous devons suivre.