Interview du président du conseil d’administration
Interview MARC-ANTOINE JAMET
PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION
Marc-Antoine Jamet, quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?
2022 a été une année particulière pour le Cned. Une de plus, serait-on tenté de dire, puisqu’il est rare que, en douze mois, notre établissement ne soit pas confronté, chemin faisant, à une ou deux réformes de fond, à quelques commandes soudaines, à l’obligation constante de s’adapter et de réagir. C’est notre marque de fabrique et, en général, nous ne nous en sortons pas trop mal. Mais, si elle a été particulière, l’année qui vient de s’écouler l’a été autrement qu’à l’ordinaire. Elle a d’abord été marquée par une extraordinairement bonne nouvelle : la fin de l’épidémie de Covid. Même si le virus circule encore et, parfois, frappe encore, nous voici plus ou moins débarrassés des masques, des gels et autres mesures barrières qui, comme les vaccins, nous ont fait échapper au pire. Je veux d’abord penser aux femmes et hommes qui font le Cned et qui, comme tous les Français, ont dû vivre deux ans avec les craintes, les angoisses, les menaces, pour eux, pour leurs proches, que cette épidémie portait avec elle. De cette épreuve, nous sommes sortis différents. Certains renforcés. D’autres affaiblis. Nos comportements ont changé. Notre manière de voir les choses est différente. L’individualisme n’a pas reculé. Loin s’en faut. Je souhaite donc que, exerçant une mission d’intérêt général, nous nous montrions unis et solidaires pour la remplir, attentifs aux autres et confiants dans notre utilité commune. Cette crise, s’il faut souhaiter qu’elle ne se renouvelle pas, a néanmoins eu un avantage : démontrer le caractère indispensable du Cned pour assurer la continuité d’un service public qui ne peut plus fonctionner normalement. Nous l’avons fait. Nous en sommes fiers. Notre tutelle, de crainte que la routine envahisse le conseil d’administration, a cherché également à mettre un peu de sel dans son existence. Pas uniquement par un changement de ministre qui m’amène à saluer aussi bien M. Jean-Michel Blanquer que M. Pap Ndiaye, mais en nommant un cinquième directeur général en 12 ans. C’est bien simple : notre sympathique agent comptable et moi-même devons désormais être les plus anciens autour de la table. Il y a eu, d’abord, en 2011, l’arrivée de mon ami Serge Bergamelli qui remit la locomotive sur les rails et, idée curieuse, suggéra à la ministre d’alors, Mme Najat Vallaud-Belkacem, de procéder à ma désignation, puis Béatrice Boury avec laquelle je fis un long intérim en 2015, Jean-Charles Watiez soudainement arraché à notre affection administrative, puis Michel Reverchon-Billot en 2017, que j’ai découvert, avec lequel j’ai eu grand plaisir à travailler et, même, à tisser des liens qui, je l’espère, n’ont pas été que professionnels. Il se trouve que je connais aussi Jean-Noël Tronc, bien et depuis longtemps. Par son parcours, par ses idées, il est l’homme de la modernité sans doute le mieux placé pour que notre vénérable établissement aborde sereinement et efficacement le cap de l’intelligence artificielle, des objets connectés, d’une éducation qui n’est plus seule à se faire à distance à l’heure du télétravail et du flex‑office. Il est numérique, il est écologique, il est technologique, il est énergique. Toutes les transitions en une seule personne ! J’ai, enfin, la conviction absolue, non pas que l’éducation sera la clé du monde futur, elle était déjà celle du monde ancien, mais qu’elle occupera une place de plus en plus importante dans le développement humain, qu’elle sera un passeport pour l’emploi, une condition du bien-être collectif et de l’estime de soi, mais qu’elle sera dispensée dans des conditions différentes de celles que nous avons connues. Dans cette mutation, le Cned a, j’en suis sûr, un rôle éminent à jouer non pas en fonction de compétences à acquérir, mais de ce que, d’ores et déjà, il est. Un vecteur. Un passeur. Un moteur. 2022 est aussi la conclusion du Contrat d’Objectifs et de Performance (COP) que nous avons signé en 2019 avec le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Son bilan laisse apparaître la réussite de la stratégie d’académie numérique par laquelle le Cned a renforcé sa contribution au système éducatif et aux établissements scolaires. La réorganisation de l’établissement a continué d’avancer, améliorant les conditions matérielles permettant le déploiement de notre projet. Je pense notamment à l’organisation des nouvelles unités opérationnelles et à la plus grande robustesse de nos systèmes d’information. Ce sont des étapes encourageantes. Il nous reste encore des efforts à fournir. Je suis heureux que notre conseil d’administration, direction, organisations syndicales, tutelles, personnalités qualifiées aborde ces débats de manière constructive et courtoise. Dans la pluralité des opinions, parfois leur affrontement, ce qui est normal, je souhaite que nous continuions à faire preuve de la même retenue. Présider, pour moi, n’est pas rappeler sans cesse une autorité, mais écouter et aider à arbitrer pour avancer.
La Cour des comptes a rendu un rapport sur le Cned qui a été présenté au cours du conseil d’administration d’octobre 2022. Quelle est l’analyse que vous en faites ?
Je suis toujours magistrat de la « haute juridiction financière » et il lui est arrivé de se montrer sévère à notre encontre. Je serai donc prudent. Indéniablement, ce rapport rend justice au Cned. Il reconnaît que les choix de gouvernance faits depuis près de 10 ans étaient les bons. La Cour souligne que le travail accompli a permis de construire une méthode de gestion plus efficiente et plus transparente. En tant que président du conseil d’administration depuis 2011, j’ai pu constater notre redressement, notamment financier au cours de la décennie. Cette évolution est d’autant plus remarquable que, à la différence de nombreux établissements publics, la majeure partie du budget du Cned dépend de sa capacité à engendrer des revenus commerciaux dans un secteur où la concurrence est de plus en plus rude. La Cour souligne la capacité du Cned à opérer un « changement d’échelle en matière de services rendus à l’enseignement scolaire » pour accompagner des millions d’élèves au plus fort de la crise sanitaire. J’ai toute confiance dans la capacité du Cned à poursuivre dans cette voie à condition que notre futur Contrat d’Objectifs et de Performance traduise pour quatre années supplémentaires l’implication, la lucidité et le soutien de nos tutelles ministérielles.
Justement quels sont les axes prioritaires que ce futur COP pourrait poursuivre ?
La Direction générale y travaille actuellement avec les ministères et administrations concernés. L’académie numérique doit être confortée et le Cned devenir le véritable bras armé de l’État en matière d’enseignement à distance. Il dispose d’une masse critique unique en France, symbolisée par la richesse de son offre numérique et par sa capacité à hybrider les modèles à une échelle quasi industrielle. Il serait dommage de ne pas mobiliser pleinement ce potentiel que d’autres pays nous envient. L’élargissement de nos missions nécessitera, en contrepartie, de faire de l’amélioration continue de nos processus un axe fort du prochain contrat. Cela passe par le renforcement de la qualité de nos formations et de la relation que nous avons avec nos inscrits/clients. De ce point de vue, nous avons encore des marges de progression. Il faudra enfin mettre l’innovation au coeur de notre stratégie. Les domaines de l’éducation et de la formation sont percutés par la révolution numérique et les nouveaux modèles qu’elle fait émerger. Je parlais de la concurrence qui s’exerce dans notre secteur, je crois fermement que les acteurs, privés ou, comme je le préférerais, publics, qui sortiront du lot sont ceux qui parviendront à développer de nouveaux modèles de formation à même de répondre aux nouveaux besoins des gens. Le futur COP doit s’appuyer sur les forces et les atouts du Cned, les consolider et les développer : un service public qui allie rigueur académique et innovation pédagogique, une solution de formation qui est à la fois distancielle et humaine.
"J’ai la conviction absolue que l’éducation occupera une place de plus en plus importante dans le développement humain, mais qu’elle sera dispensée dans des conditions différentes de celles que nous avons connues. Dans cette mutation, le Cned a, j’en suis sûr, un rôle éminent à jouer non pas en fonction de compétences à acquérir, mais de ce que, d’ores et déjà, il est. Un vecteur. Un passeur. Un moteur."